Article 06 avril 2022

Responsabilité professionnelle : Bien comprendre la poursuite au civil

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Le comité de discipline n’est pas le seul endroit où les membres de la Chambre de la sécurité financière peuvent se voir sanctionnés. Ils peuvent aussi subir un procès en responsabilité professionnelle si des clients s’estiment lésés.

Pour bien saisir en quoi consiste la responsabilité professionnelle, il faut d’abord comprendre le concept de responsabilité civile. L’article 1457 du Code civil du Québec rappelle que nous avons l’obligation de ne pas nuire aux autres et que nous sommes responsables des préjudices corporels, moraux ou matériaux que nous causons en manquant à ce devoir. Nous pouvons donc être condamnés à réparer un dommage causé à autrui.

« Cela s’adresse à tous les Québécois, pas seulement aux professionnels, précise Me Patrick J. Delisle, spécialisé en droit disciplinaire et des professions. On parlera de responsabilité civile professionnelle dans les cas où la faute qui entraîne le dommage advient dans le cadre de l’exercice d’un métier. » En d’autres termes, si un locataire provoque un incendie en laissant une cigarette mettre le feu à un matelas, c’est de l’ordre de la responsabilité civile. Si un électricien cause un incendie par une mauvaise installation d’un dispositif électrique, cela relève de la responsabilité civile professionnelle.

« Pour qu’une condamnation advienne, le demandeur doit pouvoir démontrer qu’il y a eu une faute et un dommage et qu’un lien de cause à effet existe entre cette faute et ce dommage », poursuit Me Delisle.

Comme il s’agit d’un procès civil — et non criminel —, le demandeur n’a pas à prouver hors de tout doute ce qu’il affirme. Le juge doit trancher en fonction de la prépondérance de probabilité, comme c’est le cas aussi du comité de discipline de la Chambre. Le demandeur doit démontrer que ses prétentions et arguments sont plus probables qu’improbables, ou encore qu’un fait a plus de chance de s’être produit que le contraire.

« Cela complique la défense d’un professionnel, mais cette norme existe pour augmenter le niveau de protection du public », explique Me Marie-Claude Sarrazin, associée au cabinet d’avocats Sarrazin+Plourde.

Une barre plus haute pour les professionnels

Dans un procès civil, le lien de causalité entre la faute et le dommage constitue généralement l’élément le plus difficile à étayer. C’est cependant un peu moins vrai lorsque l’accusé est un professionnel régi par un code de déontologie ou un règlement. « Si l’on arrive à démontrer une contravention à une norme réglementaire par le professionnel, la cour peut présumer du lien de causalité puisque cette norme existe justement pour éviter un dommage », note Me Sarrazin. Ce serait le cas, par exemple, d’un conseiller qui aurait omis d’effectuer une analyse de besoin financier ou de respecter la convenance et dont le client se plaindrait d’un dommage.

En 1975, le jugement de la Cour suprême dans l’affaire Morin contre Blais, qui concernait un accident de circulation entre une voiture et un tracteur, a confirmé cette présomption de causalité. La responsabilité de la collision revenait-elle au conducteur du tracteur, qui n’avait pas pris tous les moyens pour demeurer visible, ou à l’automobiliste, qui n’avait pas conduit avec l’attention et la prudence requises?

En parlant du code de la route, le juge écrivait dans son jugement que :

« Bon nombre de ces dispositions concernant la circulation expriment, tout en les réglementant, des normes élémentaires de prudence. Y contrevenir est une faute civile. Lorsque cette faute est immédiatement suivie d’un accident dommageable que la norme avait justement pour but de prévenir, il est raisonnable de présumer [...] qu’il y a un rapport de causalité entre la faute et l’accident. »

Pour renverser la présomption de causalité, le professionnel devra donc effectuer une démonstration très forte que sa faute n’a pas causé le dommage qu’a subi le client. « En droit civil, on tente de déterminer si une personne raisonnable, dans la même situation, aurait agi de la même manière que l’accusé, rappelle Me Sarrazin. Dans le cas d’un professionnel, la déontologie ou les règlements codifient à l’avance ce que serait cet agissement d’une personne raisonnable. »

Réparer les dommages

Bien qu’elles visent toutes les deux la protection du public, la poursuite en civil présente une différence importante par rapport à une cause devant un comité de discipline. En droit disciplinaire, les discussions portent sur la faute. Le demandeur n’a pas à démontrer un lien de causalité entre une faute et un dommage pour obtenir une sanction à l’encontre du professionnel. Il doit simplement démontrer un manquement aux normes réglementaires.

« Le processus disciplinaire et la poursuite civile sont complètement séparés, mais la décision d’un comité disciplinaire peut avoir une influence sur le résultat d’une poursuite au civil », soutient Me Julie Chenette, avocate fondatrice de Chenette, boutique de litige. En effet, si un membre de la Chambre a été reconnu coupable d’une contravention au code de déontologie ou au Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières et que la même cause fait l’objet d’une poursuite civile, la décision du comité de discipline peut s’ajouter à la preuve déposée par la partie demanderesse.

L’objectif d’un procès au civil est d’obtenir une réparation des préjudices subis par le demandeur. Il s’agit de replacer ce dernier dans la situation dans laquelle il se trouvait avant de subir le dommage provoqué par l’accusé. Les sanctions concernent donc généralement le remboursement des dommages, pour combler par exemple la perte d’une indemnisation d’assurance ou le paiement en trop d’une prime, ou encore une perte financière liée à un placement qui ne respectait pas les règles de convenance.

Tous les membres de la CSF doivent contracter une assurance de responsabilité professionnelle. Cependant, il est bon de rappeler qu’elle ne protège pas de tout. « Dans la plupart des cas, ces assurances refusent de couvrir le professionnel lorsqu’il a commis une faute grossière ou volontaire et peuvent même refuser d’assurer sa défense dans ces cas-là », souligne Me Chenette.

L’avocat fourni par la compagnie d’assurance joue en quelque sorte un double rôle : veiller aux intérêts de l’assureur, tout en défendant le professionnel. Il peut, par exemple, souhaiter régler un dossier hors cour si c’est avantageux pour l’assureur, même si le professionnel n’est pas d’accord. Ce dernier a donc parfois intérêt à avoir son propre avocat.

Me Chenette rappelle en outre que subir un procès en responsabilité professionnelle représente un événement très stressant, dont les conséquences aussi bien financières que réputationnelles peuvent devenir très lourdes. D’autant que les procès s’étendent régulièrement sur deux ou trois ans, ce qui reste assez long.

« Les membres de la Chambre doivent suivre les règles et soigner tous les aspects de leur pratique afin d’éviter de se retrouver dans cette position très inconfortable », insiste-t-elle.


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