Gérer les clients les plus émotifs
Les règles déontologiques prévoient notamment que les conseillers doivent faire preuve de disponibilité, de prudence et de diligence à l’égard de leurs clients ou de tout client éventuel. En temps de crise, la CSF suggère de se montrer encore plus proactif et de communiquer avec les clients sans attendre.
C’est exactement ainsi que Manon Bisson, conseillère en placement à Industrielle Alliance Valeurs mobilières, a procédé. Depuis le début de la crise, elle a donné un coup de fil à chacun de ses quelque 150 clients. « Chaque conversation m’a pris entre vingt minutes et une heure et j’ai rappelé les plus inquiets plus d’une fois, raconte-t-elle. C’est normal. Ils me paient pour que je sois là pour eux quand ça va mal. »
Maud Salomon, représentante en épargne collective et conseillère en sécurité financière de Mica Services financiers, a elle aussi multiplié les communications par téléphone, courriel, visioconférence et médias sociaux. « L’un des aspects de notre rôle dans une telle situation consiste à vulgariser l’information, rappelle-t-elle. Les gens entendent et lisent énormément de choses. Nous devons bien expliquer les faits et les mettre en perspective. »
Elle n’hésite pas à utiliser des graphiques ou des images pour appuyer certains points, par exemple pour démontrer pourquoi il vaut mieux rester investi dans le marché à long terme ou pour illustrer certains mauvais réflexes des investisseurs. « Mais le client ne doit pas avoir l’impression qu’on lui demande de déchiffrer un graphique lui-même, prévient-elle. L’explication du conseiller doit être claire en elle-même. »
Gérer la panique
En faisant le tour de ses clients, Manon Bisson a constaté que quelques-uns paniquaient. Une femme dans la soixantaine a vendu tous ses placements. Idem du côté d’un nouveau retraité, qui a soldé toutes ses parts de fonds commun de placement équilibrés, contre l’avis de la conseillère. Il a laissé entendre qu’il pourrait revenir dans le marché quand les choses iraient mieux… mais le prix des actions risque alors d’avoir augmenté.
« C’est l’erreur à ne pas faire, mais ça reste la décision du client », rappelle Manon Bisson. La Chambre précise en outre que le conseiller a la responsabilité de donner à son client tous les renseignements nécessaires sur les avantages et les inconvénients d’une telle décision, de s’assurer de sa compréhension et de lui transmettre une recommandation qui lui convienne. Si, malgré tout cela, celui-ci persiste à vouloir vendre tous ses placements, le verdict final lui appartient. En consignant dans le dossier du client les mises en garde faites au client, votre recommandation, sa décision de ne pas la suivre et sa signature sur ce document, vous serez en mesure de démontrer que vous avez agi de façon professionnelle.
Hadi Ajab, planificateur financier indépendant, a connu des cas similaires. Comme cette dame de 71 ans, qui soudainement souhaitait tout vendre et se réfugier dans le marché monétaire. « Son profil de risque est bas et ses placements sont répartis en conséquence, donc seule une petite partie est exposée au marché des actions, précise Hadi Ajab. J’ai dû beaucoup discuter avec elle pour lui expliquer que c’était une mauvaise décision. » Pour l’instant, elle a suivi ses conseils, mais il sait qu’ils en reparleront.
En échangeant avec les conseillers, il apparaît assez clairement que la situation alarme davantage les plus âgés. « Les gens inquiets qui m’ont téléphoné se trouvaient généralement à trois ans ou moins de la retraite », constate le planificateur financier Amine Chbani.
C’est la raison pour laquelle la CSF a récemment publié un texte qui concerne spécifiquement cette clientèle.
Calmer les ardeurs
Si certains clients sont en proie à la panique, d’autres ont la tentation inverse : ils veulent investir massivement pour profiter de bonnes occasions d’achat. François Doyon, conseiller en sécurité financière rattaché à Planium inc., en fait le constat parmi sa clientèle.
À ses yeux, cette attitude peut elle aussi mener à des opérations risquées. Il est difficile de savoir si les marchés ont atteint leur plancher ou si la glissade se poursuivra. De plus, la crise est d’abord sanitaire et non financière. Évaluer ses conséquences à court, moyen et long terme n’est pas simple. « C’est parfois notre rôle aussi de tempérer les ardeurs de nos clients plus audacieux, croit François Doyon. Je leur conseille de revenir dans le marché graduellement, en investissant une fois par semaine, par exemple. »
Dans un contexte où les émotions influent davantage sur les décisions, le rôle du conseiller est crucial. L’article 5 du Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières stipule d’ailleurs que « le représentant doit appeler à la prudence le client qui passe un ordre non sollicité paraissant ne pas convenir à sa situation. ». Il faut rédiger des notes détaillées des conversations et avoir les éléments en main pour expliquer le raisonnement qui a mené à des recommandations. C’est encore plus important lorsque le client les rejette et prend une décision différente.
Lorsqu’un client souhaite prendre une décision qui va à l’encontre de ses propositions, Manon Bisson lui envoie une lettre dans laquelle elle détaille ses recommandations. Elle demande au client de signer et de lui renvoyer la missive. Elle ne procède aux transactions que par la suite.
Surtout, le conseiller doit savoir rassurer sa clientèle. Ce que leur dit Maud Salomon? « Occupez-vous d’abord de vos familles, le marché se rétablira en temps et lieu. »
Le jeudi 12 mars 2020, le S&P/TSX a chuté de plus de 12 %, connaissant sa pire journée depuis 1940.
La même journée, l’indice Dow Jones baissait de 9,99 %, sa pire séance depuis le krach de 1987.
L’indice européen Stoxx 600 a perdu 11 %, la plus forte glissade de son histoire.
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