Protection des personnes vulnérables : Le Curateur public actualise ses services
Pour l’actuel Curateur public du gouvernement du Québec, Me Denis Marsolais, la nouvelle loi constitue bien plus qu’un nécessaire dépoussiérage d’une législation déjà trentenaire. Elle représente un véritable changement de paradigme. Il y a trente ans, la protection d’une personne que l’on disait à l’époque « inapte » passait obligatoirement par la nomination d’un tuteur ou d’un curateur pour exercer l’ensemble des droits de cet individu à sa place.
« La nouvelle loi met plutôt la personne vulnérable au centre du processus de protection et vise dans chaque cas à lui permettre de conserver le plus longtemps possible l’exercice du plus grand nombre de ses droits », explique-t-il.
Cette vision correspond à une tendance internationale de plus en plus marquée. On la retrouve notamment dans l’article 12 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies, adoptée en décembre 2006. Celle-ci stipule que les personnes handicapées doivent avoir le droit de posséder des biens, de contrôler leurs finances et de prendre part à toutes les décisions qui les concernent. Le Québec et le Canada appuient cette vision, tout en précisant que dans certains cas, le recours à un régime de protection — dans lequel un individu exerce des droits au nom d’une personne vulnérable — reste nécessaire.
« Nous voulions qu’il y ait d’autres options que l’ouverture d’un régime de tutelle ou de curatelle, poursuit Me Marsolais. Présentement, c’est un peu tout ou rien. Or, on voit des cas où ces régimes de protection sont exagérés par rapport aux réels besoins de certaines personnes vulnérables. »
« La nouvelle loi met la personne vulnérable au centre du processus de protection et vise dans chaque cas à lui permettre de conserver le plus longtemps possible l’exercice du plus grand nombre de ses droits. »
Un nouveau rôle : l’assistant
La nouvelle loi propose donc plusieurs innovations pour atteindre cet objectif. L’une des plus importantes réside dans l’introduction d’une mesure d’assistance. Cette mesure existe déjà dans d’autres provinces canadiennes, comme la Colombie-Britannique, mais c’est surtout le modèle appliqué en Suède qui a inspiré les législateurs québécois. « Une personne vulnérable pourra désigner de manière officielle un assistant pour l’aider dans des prises de décision ou la gestion de ses biens, mais sans abdiquer aucun de ses droits », explique le Curateur public.
Tout adulte ayant certaines difficultés pourra recourir à cette mesure, sans égard à la nature de ses difficultés. Il devra toutefois pouvoir démontrer qu’il comprend bien la portée de ce geste et qu’il reste capable d’exprimer ses volontés et ses préférences. L’assistant doit être majeur et démontrer un intérêt particulier pour la personne qui le choisit, ce qui est le cas par exemple d’un proche ou d’un membre de la famille ou encore d’un proche aidant.
Le Curateur public précise qu’un professionnel du conseil financier ne devrait pas accepter de devenir assistant de ses clients, même dans les cas où ce sont des proches ou des membres de sa famille. « Cela crée une apparence de conflit d’intérêts, donc mieux vaut séparer les deux », confirme-t-il. Ceux qui souhaitent agir comme assistants d’un proche ou d’un parent devraient céder la gestion des finances de cette personne à un tiers.
« Une personne vulnérable pourra désigner de manière officielle un assistant pour l’aider dans des prises de décision ou la gestion de ses biens, mais sans abdiquer aucun de ses droits. »
L’article 19 du code de déontologie de la Chambre prévoit déjà que le représentant « ne peut accomplir quelque transaction, entente ou contrat que ce soit à titre de représentant avec un client dont il est le tuteur datif, le curateur ou le conseiller au sens du Code civil ».
Me Marsolais ajoute toutefois que ces professionnels restent très bien placés pour parler de la mesure d’assistance à leurs clients lorsque ceux-ci commencent à éprouver certaines difficultés.
Un processus volontaire
Contrairement aux mesures de protection, la reconnaissance d’un assistant ne constitue pas un processus judiciaire et n’exige aucune évaluation médicale ou psychosociale. La personne vulnérable peut présenter sa demande gratuitement en ligne ou avec un formulaire papier directement auprès du Curateur public ou en utilisant les services d’un avocat ou d’un notaire (mais dans ce cas, des honoraires seront facturés).
Une liste de cinq proches parents de l’assisté doit accompagner la demande signée par l’assisté et l’assistant. Ce dernier doit aussi garantir qu’il n’est pas en conflit d’intérêts avec l’assisté. Enfin, la demande doit donner une idée de l’ampleur du patrimoine de la personne assistée, sans toutefois exiger un bilan financier exhaustif.
Au bout du compte, c’est le Curateur public qui décide d’accepter ou non la désignation de l’assistant. Il effectue d’abord des vérifications des antécédents judiciaires de l’assistant. Il contactera aussi au moins deux proches de l’assisté pour leur demander s’ils ont des objections majeures. Le processus se poursuit avec deux entrevues. L’une d’elles est réalisée seulement avec la personne souhaitant de l’assistance, notamment pour s’assurer que son choix de l’assistant est bien volontaire et qu’elle comprend la portée de son geste. La seconde entrevue inclut également l’assistant et vise surtout à bien expliquer ce qu’il peut ou ne peut pas accomplir.
Au Québec, 35 524 adultes avaient une mesure de protection au 31 mars 2021 dont 13 005 personnes sous régime public 9 410 sous régime privé 11 398 sous mandat homologué
Source : Curateur Public du Québec, 2021
Son rôle est en effet bien délimité. L’assistant peut :
- Agir comme intermédiaire;
- Conseiller la personne assistée;
- Communiquer avec des tiers, afin d’obtenir ou de transmettre des informations, ou de leur faire part des décisions prises par la personne assistée;
- Accéder aux renseignements personnels de la personne assistée, uniquement avec son consentement et si l’information est pertinente pour l’aider.
En revanche, l’assistant ne peut pas signer des documents au nom de la personne assistée ni prendre des décisions pour elle. Il ne peut bien sûr pas non plus agir dans des situations qui le placent en conflit d’intérêts ni se faire payer pour son aide. Notons que l’assistant peut, le cas échéant, demander des informations à des professionnels dont les relations avec les clients sont couvertes par le secret professionnel. Les avocats et les notaires, par exemple, devront présumer du consentement de l’assisté lorsque des assistants communiquent avec eux.
Il en va de même pour les professionnels du conseil financier. Cependant, tous les assistants seront inscrits à un registre public. Les conseillers doivent donc vérifier que le Curateur public autorise bel et bien la personne qui les questionne à agir en tant qu’assistant de leur client. C’est d’autant plus important que l’assisté peut révoquer l’assistant en tout temps. De plus, une fois accordée, la mesure d’assistance dure trois ans avant de devoir être renouvelée. Il sera ainsi crucial d’effectuer cette vérification chaque fois.
Nouvelle curatrice
Étant donné sa nomination récente à titre de président et chef de la direction de la Société de l’assurance automobile du Québec, Me Denis Marsolais a quitté ses fonctions de Curateur public le 16 janvier 2022. Il est remplacé par Me Julie Baillargeon-Lavergne, qui agira comme curatrice publique par intérim. Cette dernière occupait jusqu’ici les postes de secrétaire générale et responsable du Bureau du Curateur public.
Me Denis Marsolais, ancien Curateur public, et Me Julie Baillargeon-Lavergne, qui lui succède depuis le 16 janvier 2022. La photo a été retouchée et la séance a eu lieu en respectant les consignes sanitaires.
Un seul régime de protection
La nouvelle loi introduit aussi la représentation temporaire. Cela permettra à un proche d’accomplir un acte précis au nom d’une personne inapte, sans avoir à recourir à l’ouverture d’une tutelle. Me Marsolais donne l’exemple d’une personne inapte qui se voit désignée comme bénéficiaire d’une succession déficitaire. Une personne choisie pourra renoncer à cette succession pour la personne inapte. C’est le seul acte qu’elle sera autorisée à effectuer en son nom. « Aujourd’hui, il faut ouvrir un régime de protection pour ça, déplore Me Marsolais. Ce ne sera plus le cas désormais. Les régimes de protection doivent rester des derniers recours. »
La nouvelle loi va encore plus loin en simplifiant les régimes de protection. Auparavant, on en comptait trois, soit la tutelle, la curatelle et le conseiller au majeur. Dorénavant, seule la tutelle continuera d’exister, et elle sera modulable. Cela permettra de mieux l’adapter aux besoins de chaque personne.
Ainsi, le tribunal déterminera le degré d’autonomie de la personne vulnérable et les actes qu’elle peut poser seule, par rapport à ceux qui relèveront du tuteur. Le tribunal prescrit aussi les délais auxquels les évaluations médicales et psychosociales devront être refaites. Le tuteur devra tenir compte des volontés et des préférences de la personne inapte et la faire participer le plus possible aux décisions prises à son sujet.
Autre changement majeur : la pleine administration a été retirée des régimes de protection. Le représentant légal ne pourra donc plus, par exemple, vendre un immeuble sans autorisation. Cet acte devra être prévu dans un mandat ou obtenir l’aval du tribunal.
« L’objectif sera toujours de maintenir le plus de droits possible aux personnes, tout en assurant leur sécurité et leur protection. »
Protéger les personnes et leur liberté
Le mandat de protection a aussi été bonifié. Au Québec en 2020, 64 % des Québécois avaient préparé un mandat de protection, tout comme 53 % des gens âgés de 55 à 64 ans. À peine plus d’un tiers des 35-54 ans et un peu plus d’une personne sur dix chez les 18-34 ans en possédaient un. Les membres de la Chambre ne devraient pas hésiter à recommander à leurs clients de se munir de cet outil, peu importe leur âge.
Ces mandats comporteront désormais deux exigences supplémentaires, qui visent à améliorer la transparence de la gestion du mandataire et à renforcer la reddition de compte. Celui- ci devra dorénavant effectuer un inventaire d’ouverture des biens de la personne inapte dès qu’il entre en fonction. Le mandat devra aussi prévoir des redditions de compte périodiques à un tiers.
« Cela vient sécuriser la gestion du patrimoine du mandant et empêcher que les mandataires puissent faire tout ce qu’ils veulent sans surveillance, ajoute Me Marsolais. C’est important, car le Curateur public n’a pas de pouvoir de surveillance sur les mandats, contrairement à la tutelle. »
Le Curateur public surveillera également l’administration des biens d’un mineur par les parents ou par le tuteur supplétif lorsqu’ils sont d’une valeur de plus de 40 000 dollars. Cette surveillance s’exercera sur les tuteurs datifs aux biens (c’est-à-dire ceux qui ne sont pas l’un des deux parents ni une personne qui exerce une autorité parentale), peu importe la valeur des biens.
« L’objectif sera toujours de maintenir le plus de droits possible aux personnes, tout en assurant leur sécurité et leur protection », résume Me Marsolais.
Les principales causes d’inaptitude des personnes sous régime public :
— 41 % déficience intellectuelle
— 30 % problèmes de santé mentale
— 21 % maladie dégénérative
— 8 % traumatisme crânien et autres
Source : Curateur Public du Québec, 2021