Outils technos : Menace ou alliés pour les conseillers?

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Outils technos

Les millénariaux sont accros aux nouvelles technologies. Avec leur téléphone constamment au bout des doigts, ils veulent avoir accès à tout rapidement, y compris aux outils financiers automatisés. Est-ce à dire que le glas a sonné pour les conseillers en chair et en os ? Bien au contraire!

Ce n’est un secret pour personne : les millénariaux, ou Y – la génération née entre 1981 et 1996, selon Statistique Canada – sont très actifs sur les réseaux sociaux. Ils nagent dans le numérique comme des poissons dans l’eau et les technologies font partie intégrante de leur quotidien.


Des limites à l'autonomie

Cette soif de services en ligne fait d’eux des clients tout désignés pour les robots-financiers ou les fintechs, comme le site de courtage Wealthsimple. « Cette plateforme a changé la donne et vise clairement le segment plus jeune de la population. Même chose du côté des banques en ligne comme Tangerine. D’ailleurs, les institutions financières traditionnelles ont suivi la tendance et offrent désormais des sites de courtage en ligne », remarque Philippe d’Astous, professeur au Département de finance de HEC Montréal.

Le planificateur financier Antoine Chaume, conseiller en gestion de patrimoine chez Assante-Équipe Major, n’y voit pas pour autant une menace, mais une occasion. « Les fintechs peuvent s’avérer utiles. Chez Assante, nous avons d’ailleurs développé une division de robots-financiers. Lorsqu’on rencontre les enfants de nos clients, on peut les diriger vers cette option, c’est une façon de les amener progressivement dans notre giron. »

Louis D’Anjou, directeur Développement des affaires chez Desjardins Courtage en ligne, pense de même et considère que ces outils sont complémentaires aux services offerts par les conseillers. « Les jeunes veulent des outils rapides et performants, et les frais de commission sont un critère important dans leur sélection. Une plateforme en ligne leur donne un accès et leur permet de faire leurs premiers pas dans le domaine. Mais dès qu’ils gagnent un salaire plus élevé, ils veulent comprendre où va leur argent et recevoir des conseils. Ils sont autonomes, mais il y a une limite à cette autonomie. »

Émile Khayat, directeur régional principal à Gestion de patrimoine TD, abonde dans le même sens. « Ils arrivent à un point où ils ne peuvent pas aller plus loin. De plus, on trouve tellement d’information en ligne qu’on a besoin de quelqu’un pour nous aider à faire le tri », mentionne-t-il. « Quand la situation est complexe, on ne peut pas s’en remettre à une machine », renchérit Antoine Chaume.

63 % DES INVESTISSEURS DE LA
GÉNÉRATION Y PENSENT
QUE TRAVAILLER AVEC UN CONSEILLER EST
ESSENTIEL À LA RÉUSSITE FINANCIÈRE.

60 % RESSENTENT
UN BESOIN ACCRU D’ENGAGER UN
CONSEILLER EN RAISON
DE L’INCERTITUDE ÉCONOMIQUE.

Source : Fidelity Investments, 2022.

L’âge est aussi un facteur important, poursuit Émile Khayat. « Dès qu’on a eu certaines expériences de vie et qu’on a vécu la complexité, on a tendance à aller chercher des conseils financiers, car on comprend l’importance d’avoir un plan basé sur des objectifs précis. »

Une étude menée en 2020 par IMI International pour Fidelity indique d’ailleurs que près de la moitié des jeunes Canadiens (18-34 ans) investissent avec un conseiller en services financiers. Un sondage Léger réalisé en 2021 pour le compte de la Chambre révèle aussi que 75 % des millénariaux préfèrent rencontrer un conseiller en personne.


Miser sur la complémentarité

Les outils technologiques peuvent jouer un rôle complémentaire, constate toutefois Guillaume Roux, chef de marché, planification financière à BMO Groupe financier. « Même si elle est très impliquée dans la gestion de ses finances et très bien renseignée, cette génération aime travailler avec des conseillers. Ces derniers peuvent les aider à mieux se diriger, à vérifier les informations et leur proposer un plan financier qui répond à leurs besoins. Du côté de BMO, nous avons aussi adapté nos pratiques : courriels, textos, présence sur les réseaux sociaux – la proactivité est de mise pour capter l’attention et répondre aux attentes de cette génération. »

Pour sa part, la planificatrice financière Alexandra Desroches, de l’équipe Jean-Maurice Vézina, ne voit pas la technologie comme une concurrente. « Elle ne remplacera pas l’humain. En revanche, on peut s’en faire une alliée qui nous facilite la tâche. Par exemple, nous travaillons avec des logiciels qui font appel à l’intelligence artificielle pour effectuer de la planification financière. Mais le volet relationnel demeure indispensable, car il contribue à bâtir un lien de confiance. Par exemple, même si on fait beaucoup de visioconférences, mes clients veulent quand même me rencontrer en personne de temps en temps. »

De plus, faire affaire avec un robot-financier escamote le contact humain. « Or, il y a une certaine fierté à épargner, même chez mes clients plus jeunes. Ils m’appellent pour me dire qu’ils ont mis de l’argent de côté et qu’ils sont prêts à investir un certain montant. Ils apprécient notre accompagnement », indique Élise Chartier, gestionnaire principale de patrimoine et gestionnaire de portefeuille à Valeurs mobilières Desjardins.

Son père, Daniel Chartier, qui occupe le même poste à Valeurs mobilières Desjardins et avec qui elle travaille étroitement, ajoute que les technologies ont tendance à dénaturer l’épargne et à rendre les choses encore plus abstraites.


Échaudés en bourse

Jean-Philippe Vézina, planificateur financier et fiscaliste au sein de l’équipe Jean-Maurice Vézina, estime que la jeune génération veut apprendre, en savoir plus, et est également bien informée. « Les jeunes veulent que ce soit rapide, tout avoir au bout des doigts, ouvrir un compte en cinq minutes sur leur téléphone. Il y a aussi certaines choses qu’ils veulent faire par eux-mêmes, par exemple calculer leur cotisation REER, alors nous leur proposons des outils. Par contre, quand le marché boursier connaît de fortes turbulences comme on en a connu l’an dernier, les émotions prennent le dessus. C’est là que nous pouvons faire une différence. »

À ce point de vue, l’année 2022 a constitué une bonne leçon pour plusieurs jeunes investisseurs trop téméraires et attirés par les sirènes des start up numériques et de la cryptomonnaie... « Beaucoup ont réalisé que sans les connaissances, ils faisaient un peu n’importe quoi sur les sites de courtage en ligne », remarque Alexandra Desroches. Depuis 2020, on assiste aussi à une forme de gamification de l’investissement, fait valoir Antoine Chaume. « Les jeunes jouent en Bourse comme si c’était un casino. Il y a un côté ''gambling'' dans le fait de penser qu’en investissant 100 $ on pourrait se retrouver à la tête de 100 000 $ dans six mois parce qu’on a misé sur le bon placement. Ils voient ça comme un jeu, alors que la Bourse, c’est sérieux et doit s’envisager à long terme. Il y a donc beaucoup de travail d’éducation à faire. Nous les amenons à réfléchir, à mieux comprendre le marché et à les accompagner là-dedans. »

Le conseiller joue aussi un rôle de garde-fou lorsque les émotions entrent en ligne de compte, en particulier quand les marchés sont très volatils. Car les jeunes sont plus réactifs et impulsifs en période de turbulences que leurs aînés, qui eux, ont vu neiger... Ils ont connu la tempête de 2008, par exemple, ainsi que des taux d’intérêt à des niveaux bien plus élevés qu’aujourd’hui. Ils savent que la patience et la constance à long terme sont deux ingrédients clés du succès. « La clientèle jeune a pris davantage de risques en Bourse et plusieurs ont été très échaudés. Cela les pousse à aller chercher notre expertise », conclut Louis D’Anjou.

Autrement dit, les conseillers ont encore de belles années devant eux !