Gros plan sur les Y
Les différences entre les millénariaux et les générations qui les ont précédés - les X et les baby-boomers - sont légion. Plus éduqués et informés, ils veulent aussi faire les choses à leur façon, surtout quand vient le temps d'investir. Même s'ils s'interrogent sur les recommandations et ne les suivent pas aveuglément, il n'en reste pas moins qu'ils ont aussi besoin de conseils financiers. Comment séduire cette clientèle et mieux répondre à ses besoins? D'abord, en la comprenant mieux.
Des caractéristiques à connaître
Au quotidien, Karine Précourt, directrice générale, Bureau de gestion familiale pour BMO Gestion privée, rencontre beaucoup de personnes de 25 à 40 ans, qui sont les enfants de clients plus âgés. Sans vouloir généraliser, avec le temps, elle a dégagé un certain nombre de caractéristiques qui reviennent fréquemment dans cette tranche d'âge. « On constate que cette génération a un esprit entrepreneurial très développé. Nombreux sont ceux qui veulent se lancer en affaires, avoir leur entreprise ou reprendre celle de leurs parents en la faisant évoluer avec un nouveau modèle. Les millénariaux ont aussi besoin d'un réseau : habituellement, ils n'aiment pas porter seuls un projet et ils carburent au travail d'équipe. Ils sont aussi très actifs sur les médias sociaux et en matière de réseautage. »
Curieuse, avide de savoir et intéressée par la planification financière, cette génération souhaite néanmoins être guidée parmi le flot d’informations accessibles. « À cet égard, la formation joue un rôle de premier plan et ils veulent pouvoir compter sur l’expertise d’un professionnel de confiance », précise Karine Précourt. Ils ont également conscience qu’ils auront un rôle important à jouer dans le transfert de patrimoine et ont besoin d’accompagnement à cet égard.
Point important : les jeunes générations ont davantage à coeur certaines considérations sociales que leurs aînés, ce qui se reflète dans leurs choix d’investissements, souligne Philippe d’Astous, professeur au Département de finance de HEC Montréal. Ce que confirme Karine Précourt. « Les millénariaux sont plus enclins à choisir leurs placements en fonction de leurs valeurs. Ils sont sensibles aux facteurs environnementaux, à l’acceptabilité sociale, aux principes ESG. En tant que professionnels, on doit être en mesure de leur proposer une stratégie d’investissement en ce sens. »
LES JEUNES CANADIENS SONT PLUS SUSCEPTIBLES
DE CONSIDÉRER L’INVESTISSEMENT RESPONSABLE
DANS LEUR PORTEFEUILLE :
78 % POUR LES 18-24 ANS ET
66 % POUR LES 25-34 ANS.LES JEUNES CANADIENS SONT PLUS SUSCEPTIBLES
D’AVOIR DES ACTIFS NUMÉRIQUES (BITCOIN,
ETHEREUM, ETC.) DANS LEUR PORTEFEUILLE :
27 % POUR LES 18 À 24 ANS ET
21 % POUR LES 25-34 ANS.Source : Environics Research pour Fidelity (2022).
Adapter son approche
Pour capter l’attention de cette génération, il faut moduler son approche. « Nous proposons des balados d’une à deux minutes sur des sujets précis pour susciter leur intérêt. Ensuite, nous les invitons à communiquer avec nous au besoin », illustre Kevin Quach, CPA, fiscaliste et planificateur financier, vice-président, conseils en succession d’entreprise pour Gestion de Patrimoine TD. Une stratégie qui fonctionne, car elle sert d’élément déclencheur à un premier contact.
Il faut aussi apprendre à les connaître, cerner leurs priorités et savoir ce qui les préoccupe. « Par rapport à leurs parents, ils veulent prendre leur retraite plus tôt, car ils valorisent beaucoup la qualité de vie. Notre rôle est d’avoir des discussions avec eux sur le sujet et de proposer une stratégie », ajoute-t-il.
« Cette génération veut avoir du plaisir, le bonheur est une notion centrale pour eux. C’est pourquoi il faut les faire parler de leurs rêves, des causes qu’ils ont à coeur, leur demander quels sont leurs projets et suggérer un plan pour y parvenir », renchérit Laurie Therrien, planificatrice financière à Services financiers Therrien et Alain. Elle souligne que l’écoute et l’empathie sont primordiales auprès des Y, qui sont souvent moins optimistes quant à leur avenir et se montrent parfois inquiets par rapport aux décisions financières.
De son côté, Alexandre Savoie-Bathurst, conseiller en sécurité financière à Planex Solutions Financières, remarque que les millénariaux sont très indépendants et directs dans leur approche. « Ils commencent par chercher des solutions par eux-mêmes sur internet ou auprès de leur réseau et viennent nous voir ensuite avec un certain nombre d’informations en main. On doit être capable de mettre tout ça en perspective et leur expliquer qu’il y a une bonne part de marketing dans ce qu’ils peuvent lire en ligne. » Il remarque également que si cette génération a relativement l’habitude des investissements en Bourse, en revanche, elle connaît peu le milieu financier et ses domaines connexes, comme les assurances.
47 % DE LAGÉNÉRATION Z ET
32 % DES Y QUI TRAVAILLENT
ACTUELLEMENT AVEC UN CONSEILLER
LE FONT SUR LA RECOMMANDATION
D’UN AMI OU D’UN MEMBRE DE LA FAMILLE.33 % DES MEMBRES DE LA GÉNÉRATION Z
ET 22 % DES Y SE RÉFÈRENT AUX
INFLUENCEURS FINANCIERS ET AUX
MÉDIAS SOCIAUX POUR PRENDRE
LEURS DÉCISIONS DE PLACEMENT.Source : Sondage annuel BMO sur les placements, avril 2022.
Rencontres en famille
Pour capter cette clientèle, il faut aussi lui proposer de faire affaire avec un conseiller qui lui ressemble, autrement dit de la même génération qu'elle. « Quand on est dans la trentaine, on n'a pas nécessairement envie de travailler avec un conseiller qui est proche de la retraite. Et inversement, car le biais va dans les deux sens », constate Alexandre Savoie-Bathurst. « Pour aller chercher les millénariaux, il faut leur proposer un conseiller dans la même tranche d'âge », confirme Laurie Therrien, qui précise que l'une des missions qu'elle s'est donnée est d'approcher les enfants des clients. « La longévité du cabinet passe par là : on doit entrer en contact avec les générations Y et Z », assure-t-elle.
Kevin Quach indique qu'aborder les questions relatives à la succession avec les parents est une bonne façon d'ouvrir le dialogue et de les inciter à amener leurs enfants à une prochaine rencontre. Celle-ci pourra éventuellement se dérouler en présence d'un deuxième conseiller, plus jeune, qui travaillera en équipe avec son collègue.
À Planex Solutions, Alexandre Savoie-Bathurst et son père, Larry Bathurst, aujourd'hui à la retraite, ont d'ailleurs effectué un processus de transition efficace. « Je rencontrais les clients avec mon père afin de bâtir un lien de confiance avec eux. Cela a aussi permis d'ouvrir la porte pour savoir si leurs enfants avaient besoin de conseils », explique-t-il.
Jean-Philippe Vézina, planificateur financier et fiscaliste au sein de l'équipe Jean-Maurice Vézina, fait aussi partie de l'équation lorsque son père rencontre ses clients. « Nous menons les rendezvous ensemble. Et lorsque les enfants y participent aussi, ça clique plus naturellement avec moi. Ils veulent des conseils en matière de placement, mais pas seulement : ils souhaitent aussi être pris en charge sur l'ensemble des questions en matière de gestion et de sécurité financières. »
Élise Chartier, gestionnaire principale de patrimoine et gestionnaire de portefeuille à Valeurs mobilières Desjardins, qui s'implique activement auprès de la clientèle plus jeune, estime toutefois qu'il faut également apprendre à respecter le rythme de chacun. « Certains clients veulent tout expliquer à leurs héritiers, leur donner tous les détails du patrimoine, alors que d'autres préfèrent rester plus discrets. On doit le comprendre et les guider dans cette communication avec leurs enfants. »
Son père, Daniel Chartier, également gestionnaire principal de patrimoine et gestionnaire de portefeuille à Valeurs mobilières Desjardins, mentionne pour sa part que ce transfert générationnel n'est pas qu'une question d'argent. « Pour assurer la pérennité, il faut aussi transmettre les connaissances. » Un conseil qui vaut également pour les équipes de conseillers. Des rencontres hebdomadaires, le partage des bons coups et de solutions, mais aussi le mentorat actif de Daniel Chartier sont la clé pour que les compétences passent d’une génération à l’autre.
S’il n’y a pas de recette magique, le lien de confiance, l’ouverture et le partage du savoir font assurément partie des ingrédients essentiels pour que la sauce prenne.