Article 29 juin 2021

Les conseillers tiennent au modèle québécois

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Cet article est tiré du Magazine CSF que vous pouvez consulter directement ici.

Comme l’encadrement des valeurs mobilières au Canada a toujours relevé d’une compétence provinciale, le Québec a pleinement exercé son droit et développé au fil des ans son propre modèle en la matière. Cette approche présente plusieurs particularités par rapport à celles du reste du pays, auxquelles tiennent vraiment les conseillers québécois.

De la même façon que Québec a historiquement protégé sa juridiction en préférant l’Autorité des marchés financiers (AMF) à une commission nationale de valeurs mobilières, coopérative ou non, les conseillers québécois n’ont pas manqué d’occasions, depuis une quinzaine d’années, de défendre leur système d’encadrement unique et multidisciplinaire. En 2007, on avait ouvertement envisagé de soumettre les cabinets en épargne collective et leurs représentants à la supervision de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM). En octobre 2017, le projet de loi 141 prévoyait l’intégration de la Chambre de la sécurité financière (CSF) à l’AMF, une disposition finalement abandonnée.

Une approche par principe

Toutes ces propositions auraient eu des répercussions importantes sur le modèle québécois d’encadrement des conseillers. Il en va de même de la réflexion menée en ce moment par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) au sujet de l’avenir des organismes d’autoréglementation (OAR) canadiens. Au Québec, l’inquiétude des conseillers et des petits cabinets devant ces tentatives de modification de l’encadrement ont montré un attachement sincère au système actuel.

La Chambre se distingue d’abord des OAR canadiens en raison de son approche par principe, selon Me Maxime Gauthier, directeur général et chef de la conformité de Mérici Services Financiers. «  Favoriser l’encadrement par principe plutôt que d’adopter des règles très prescriptives protège les consommateurs tout en permettant l’innovation et en simplifiant les processus d’affaires  », croit-il.

« Il est essentiel que les membres de la Chambre aient une voix lorsque des changements aussi importants qu’une transformation des OAR sont envisagés. » — Flavio Vani

Un encadrement multidisciplinaire

Me Gauthier loue aussi l’aspect multidisciplinaire unique à la Chambre, qui supervise des conseillers en assurance de personnes, en assurance collective de personnes, en planification financière, en courtage en épargne collective et en courtage en plans de bourses d’études. Cette particularité se reflète du côté de l’AMF, qui encadre des entreprises actives en valeurs mobilières et en assurance. «  Ces secteurs sont intrinsèquement liés, soutient le directeur général. La CSF et l’AMF comprennent bien les enjeux vécus par les conseillers qui détiennent deux ou trois certificats de pratique.  » Très attaché lui aussi à cette multidisciplinarité, Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), croit qu’elle présente des avantages pour le consommateur. «  Les conseillers doivent analyser la situation financière et les besoins des clients et cette analyse peut révéler qu’ils devraient utiliser différents produits pour atteindre leurs objectifs, comme un fonds commun de placement ou une assurance vie, avance-t-il. Les produits ne sont pas séparés en vase clos, donc l’encadrement ne devrait pas l’être non plus.  »

Depuis longtemps, Flavio Vani milite pour un titre professionnel unique. Selon lui, la supervision par produit est totalement obsolète. «  Les clients cherchent du conseil financier et ne devraient pas avoir à démêler les nuances entre plusieurs permis de pratique pour savoir quels services leur conseiller peut leur offrir, insiste-t-il. L’encadrement doit être axé sur la relation d’un conseiller avec ses clients, pas sur les produits.  »

Dans un mémoire remis aux ACVM dans le cadre de la consultation sur l’avenir des OAR canadiens, Groupe Cloutier Investissements propose même de pousser la multidisciplinarité de la CSF un cran plus loin. Son auteur, François Bruneau, vice-président administration de la société, y écrit que l’AMF a raison de réclamer un organisme réglementaire intégré qui encadre toutes les disciplines touchant de près ou de loin aux finances personnelles.

Il ajoute cependant que la CSF pourrait profiter d’un agrandissement de sa juridiction pour jouer ce rôle au Québec  : «  L’existence de la Chambre de la sécurité financière au Québec est un modèle intéressant, affirme le mémoire. Elle constitue un guichet unique pour tout client qui souhaite obtenir réparation, peu importe la catégorie d’exercice. Le concept n’a jamais été poussé jusqu’au bout puisque la CSF a uniquement juridiction sur les représentants. Il serait intéressant d’étudier à fond la possibilité d’étendre ses responsabilités aussi aux courtiers.  »

Des rapports de proximité

Pour Me Yvan Morin, vice-président, affaires juridiques de MICA Cabinets de services financiers, la CSF présente l’avantage d’offrir un encadrement de proximité. «  C’est facile de communiquer avec les gens de la Chambre, qui comprennent les réalités du marché du Québec et y sont sensibles, reconnaît-il. Je doute qu’un organisme pancanadien pourrait préserver cette proximité.  »

Afin de rester au fait de l’évolution des pratiques de ses membres, la Chambre a créé le Comité de vigie réglementaire et de la conformité des pratiques en 2019. Il assure une veille des tendances liées à la réglementation, en plus de conseiller la Chambre quant aux aspects relatifs à la déontologie et la conformité des pratiques professionnelles.

Me Morin salue également le principe de discipline par les pairs qui réside au cœur de l’application du code de déontologie de la CSF. Les personnes qui siègent au comité de discipline possèdent selon lui les qualifications et la compréhension du travail des conseillers requises pour les encadrer équitablement. «  Ça fonctionne d’une manière semblable à un ordre professionnel, comme le Barreau, dont je suis aussi membre, et c’est très efficace  », souligne-t-il.

« C’est facile de communiquer avec les gens de la Chambre, qui comprennent les réalités du marché du Québec et y sont sensibles. » — Me Yvan Morin

L'impact du Code civil du Québec

Sur le plan légal, le Québec se distingue par l’application d’un code civil d’origine française, différent de la common law en vigueur dans les autres provinces. Ce code régit les personnes, les rapports entre les personnes ainsi que les biens. «  Cette approche a une incidence sur l’encadrement de la distribution des produits financiers  », explique Me Gauthier. Ce dernier présente l’exemple du devoir fiduciaire, un thème de débat récurrent depuis plusieurs années au Canada. Or, au Québec, l’existence du Code civil vient trancher ce débat en indiquant que cette obligation existe déjà. En effet, les règles qui encadrent le mandat dans le Code civil s’appliquent à la relation entre un conseiller et ses clients. Selon l’article 1309, l’administrateur doit «  agir avec honnêteté et loyauté, dans le meilleur intérêt du bénéficiaire ou de la fin poursuivie  ». L’article 2138 précise quant à lui que le mandataire doit «  agir avec honnêteté et loyauté dans le meilleur intérêt du mandant et éviter de se placer dans une situation de conflit entre son intérêt personnel et celui de son mandant  ».

Le code de déontologie de la CSF et le Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) reprennent le principe que le meilleur intérêt du client doit primer sur celui du professionnel.

« Favoriser l’encadrement par principe plutôt que d’adopter des règles très prescriptives protège les consommateurs tout en favorisant l’innovation et en simplifiant les processus d’affaires. » — Me Maxime Gauthier

Les conseillers veulent être consultés

L’objectif ultime des OAR demeure la protection des consommateurs. En ce sens, Me Gauthier croit que le système en vigueur au Québec avec la Chambre qui supervise les professionnels et l’AMF qui encadre les cabinets fonctionne bien. Il note d’ailleurs que la CSF a fait beaucoup d’efforts ces dernières années pour accélérer les processus d’enquête. Entre le 1 er janvier 2019 et le 31 décembre 2020, le syndic de la Chambre a réduit de plus de moitié la quantité de dossiers en cours d’enquête depuis plus de 12 mois. Leur nombre a chuté de 125 à 51 en 2020.

La CSF a aussi intensifié ses échanges avec les responsables de la conformité. En 2020, elle en a réuni 150 lors d’une rencontre virtuelle qu’elle souhaite tenir régulièrement. Ces consultations visent à améliorer les mécanismes de collaboration entre la Chambre et ces responsables.

Par ailleurs, le système actuel aiderait à assurer la survie des conseillers indépendants et des courtiers de taille moyenne, ajoute Me Gauthier. «  Dans les années 2000, après l’imposition de l’ACFM dans les autres provinces canadiennes1 , le nombre de firmes de courtage a grandement diminué en raison d’une vague de consolidations dans laquelle les plus gros ont racheté les petits, rappelle-t-il. Est-ce qu’on veut un marché des valeurs mobilières aussi concentré que celui des banques? Est-ce que ça servirait bien les consommateurs?  »

En raison de cet attachement envers le modèle québécois, les conseillers tiennent mordicus à être entendus quant à toute éventuelle modification des OAR canadiens susceptible d’affecter la Chambre. «  Nous devons être consultés en premier, le Québec doit faire respecter sa juridiction en matière de valeurs mobilières  », écrivent de concert Michel Fugère, Réjean Ayotte, Daniel Bissonnette, Réal Charest et Guy Duhaime dans leur mémoire déposé à l’ACVM.

Celui du Groupe Cloutier va dans le même sens  : «  La création d’un OAR unique ayant autorité à la grandeur du Canada viendrait carrément nier la spécificité du Québec, qui a toujours souhaité être maître de l’application des lois et règlements sur son territoire. […] Le Québec se doit de maintenir une expertise et un pouvoir décisionnel en matière de réglementation des questions touchant aux valeurs mobilières.  »

«  Il est essentiel que les membres de la Chambre aient voix au chapitre lorsque des changements aussi importants qu’une transformation des OAR canadiens sont envisagés, affirme Flavio Vani. La CSF reste la mieux placée pour offrir un encadrement multidisciplinaire axé sur le conseil.  »

Pour en savoir plus :

  • «  C’est le temps de défendre votre vision des OAR. Les ACVM lancent une grande consultation  », Conseiller, 26 juin 2020. https://bit.ly/3g3Qb17
  • Tous les mémoires sont disponibles sur le site de l’Autorité des marchés financiers  : https://bit.ly/3uRVKVI